mercredi 26 mai 2010
Chronique théâtrale d'Europe centrale
Hongrie I
Claude Lévi-Strauss a dit quelque part qu’il n’a parcouru le monde à la recherche d’autres cultures qu’afin de comprendre la sienne propre. C’est dans cet esprit que je m’efforce de comparer différentes pratiques théâtrales. Je commencerai par le public, car contrairement à ce qu’on imagine dans certains milieux, le théâtre n’existe pas sans public, son public. Chaque communauté théâtrale en a un bien particulier et ne pas s’adresser lui, de préférence sans l'insulter, équivaut à ignorer les gens qu’on a invités chez soi.
Le plus simple pour saisir la différence entre les publics, est de suivre le parcours du spectateur, mettons entre le moment où il décide d’aller au théâtre et celui où ils rentrent chez lui. (On pourrait certes commencer par l’éducation qui a fait de tel ou tel individu un spectateur potentiel, mais cela nous mènerait trop loin pour le moment.) L’expérience de la spectatrice ou du spectateur hongrois est radicalement différente de ce qui nous connaissons au Canada.
Dans la semaine du 26 avril au 1er mai, le Budapestois théâtrophile avait le choix entre une bonne quarantaine salles et plus d’une centaine de spectacles. (Budapest a environ deux millions d’habitants.) La différence entre les deux chiffres est due au système de répertoire qui est à la base du théâtre hongrois. J’y reviendrai dans une prochaine chronique.
Ayant fait son choix, à moins qu’il soit un abonné à une des nombreuses séries qu’offrent les théâtres les mieux établis, notre spectateur téléphone au théâtre de son choix. Au bout de la ligne il y a toujours, c’est du moins mon expérience, une personne qui répond. Si la représentation ne se joue pas à guichet fermé la personne prend votre nom, éventuellement votre numéro de téléphone, et vous prie de vous présenter une demi heure avant le spectacle, c’est-à-dire vers 18h30 car la très grande majorité des spectacles commencent à 19h. Cette heure qui nous paraît inhabituelle permet l’accueil des personnes qui se lèvent tôt le matin. Cet horaire correspond aussi aux us et coutumes car traditionnellement le repas principal est celui du midi.
Si par malheur le spectacle se jouait à guichet fermé, la personne vous informe qu’on peut se présenter avant le lever du rideau au cas où il y aurait des retours de billets et, dans certains cas, vous pourriez acheter une place debout. C’est ce qui est arrivé à votre serviteur, car je voulais absolument voir un spectacle à succès dans un des théâtres les mieux côtés de la ville. Voici comment ça se passe.
Je n’ai pas voulu jouer la carte du visiteur canadien qui veut voir le show, car je tenais à savoir ce qui se passe dans la vraie vie. Arrivé à 18h30 la guichetière m’a demandé de patienter. J’ai fait un petit tour et au retour il y avait déjà plusieurs personnes devant moi. Deux d’entre elles ont été chanceuses et ont mis la main sur des billets retournés. Quelques minutes avant le début du spectacle j’ai obtenu ma place debout pour 700 forint, les places assises allant de 2000 à 4000 et un peu plus. (1 dollar canadien vaut à peu près 200 forints) La convention est que si au lever du rideau il y a des places libres on peut les occuper, sinon on reste debout sur les côtés. J’ai trouvé une place et le spectacle en a valu la peine, j’y reviendrai. (Notez aussi l'absence d'intermédiaire)
Si la salle n’est pas pleine, en se présentant au guichet le spectateur donne son nom pour reconnaître la réservation, mais on ne lui demande pas de décliner toute son identité. Cette habitude détestable de nos théâtres qui tiennent à vous créer un « profil » est heureusement inconnue dans ce pays, ancien membre du bloc soviétique. (Pour échapper à cette idiotie, un jour j’ai prétendu au GCTC d’être sans domicile fixe, et leur ai demandé si les SDF avaient bien le droit d’aller au théâtre. Cela a créé toute une commotion.) La délivrance du billet, bien qu’informatisée, ne prend que quelques secondes, sans doute grâce à l’absence de profil.
En pénétrant dans le foyer plusieurs choses frappent le visiteur étranger. La foule comporte à peu près toute la palette d’âge, sinon de classe sociale. Les jeunes d’âge scolaire sont présents en nombre. Ces groupes sont sans doute formés à l’école, mais dont l’encadrement est en général très discret. Contrairement au Canada, où on leur organise des matinées scolaire, voire des spectacles spécifiquement conçus pour eux, ces jeunes de 14 à 17, 18 ans assistent aux spectacles du soir. Ce phénomène est observable également en Allemagne et en France. Et chaque fois le comportement de ces jeunes a été tout à fait conforme à celui de leurs aînés. Je reviendrai également sur cette question capitale à mon avis.
Dans tous les théâtres organisés, c’est-à-dire non « alternatifs », vestiaire et buffet bien garni sont de rigueur. Compte tenu du fait que, encore là théâtres alternatifs mis à part, on ne vous prive pas d’entracte, il est utile d’avoir un bon buffet avec des bretzels, parfois des sandwiches, des petits gâteaux et des boissons. (Ah les spectacles de deux heures et plus sans entracte! Sottise du théâtre contemporain à laquelle je consacrerai une chronique toute entière.)
Sautons pour le moment le spectacle lui-même et attardons-nous un instant aux applaudissements. Ce rituel qui fait partie de tout spectacle, de nos jours encore plus que par le passé, à tel enseigne que l’on applaudit même aux enterrements, est en général réglé par consensus social. (Certes, pour éviter les débordements une loi romaine les a limités, mais nous n’en sommes plus là.) Le spectateur hongrois, allemand ou français ne saute pas sur ses pieds à peine quelques secondes après la fin du spectacle. Il reste à sa place et commence par applaudir, dirai-je normalement. Hélas, presqu’aussi rapidement que son homologue canadien se lève pour faire le « standing ovation », il se joint au reste de la salle dans des applaudissements rythmés que j’abhorre car ils rappellent l’époque stalinienne. En effet, durant cette période où les assemblées de toutes sortes destinées à inculquer à toute la population la façon correcte de penser, chaque mention du nom de Staline ou de son lieutenant hongrois, entrainaient obligatoirement un long « standing ovation » accompagné d’applaudissement rythmés et de « vive Staline » hurlé en chœur. C’est peut-être pour cela que si le public hongrois a gardé les applaudissements rythmés, il reste sagement assis dans son fauteuil.
Laissons maintenant le spectateur rentrer chez lui, souvent par le transport en commun, y compris les étudiants qui continuent à discuter bruyamment en grappes et à « texter » sur leur téléphone intelligent. La prochaine fois j’aborderai la structure théâtrale.
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