dimanche 13 avril 2014

Geste performatif III ou Les trois vautours du PQ et le théâtre.

Je reviens une troisième fois sur le geste politique performatif, car ce qui s’est passé à la soirée électorale du Parti québécois mérite une analyse théâtrale.

L’usage veut que, au moment où les résultats ne font plus de doute qu’il s’agisse de victoire ou de défaite, aucun discours substantif ne précède celui du chef de parti. Or, avant que Pauline Marois n’ait effectivement démissionné, trois candidats élus du PQ,  Pierre Karl Péladeau, Jean-François Lisée et Bernard Drainville, qui à tort ou à raison sont considérés comme de prétendants à la chefferie, se sont livrés à une sorte de surenchère de profession de foi politique.

Ce geste a été immédiatement dénoncé par la quasi-totalité des commentateurs avec des mots parfois très durs. Quelques-uns ont utilisé l’analogie d’un cadavre encore chaud dont on veut s’emparer des biens. Réflexion faite, cette analogie est assez juste.

Les sociétés ont des règles précises concernant l’enterrement des morts physiques, spirituels ou institutionnels que même les héritiers les plus légitimes doivent observer. C’est lors de ces cérémonies que sont transmis, symboliquement et en public, les legs auxquels les successeurs peuvent prétendre. Les familles portent en terre leurs morts et ce sont celles et ceux qui sont au premier rang qui reçoivent l’héritage physique ou spirituel.

En politique l’héritage principal, voire unique, est la légitimité. C’est elle qui donnait jadis l’autorité au prince qui enterrait son père le roi. Le processus est plus subtil en démocratie, puisqu’en principe le pouvoir n’est pas héréditaire. Cependant, lorsque le général de Gaulle est mort et le président en exercice s’est immédiatement rendu à Colombey-les-Deux-Églises pour s’incliner devant le défunt, la famille a fait fermer le cercueil avant son arrivée. En effet, le président Pompidou, collaborateur et premier ministre du général, a été perçu par la famille comme un traître pour avoir trop tôt déclaré son intention de succéder à son mentor et ancien patron. Le geste de la famille était le refus de transmission de légitimité spirituelle. Au demeurant, le général s’est lui-même considéré comme sans successeur politique puisqu’il a interdit l’accès à ses funérailles à toute autorité civile.

Au théâtre c’est sans doute Shakespeare, encore lui, qui a traité cette question avec le plus de force et de subtilité. L’exemple peut-être le plus connu se trouve dans Jules César. Marc Antoine, ami proche du leader assassiné, arrive sur les lieux du crime et obtient des meurtriers de pouvoir prononcer un éloge funèbre. Ceux-ci, après avoir convaincu la foule de la nécessité de leur geste, laissent Marc Antoine avec le cadavre de César face à la foule. Le futur membre du Triumvirat prononce sur le corps «encore fumant» le discours dont tous les élèves anglophones connaissent au moins le début :
        

         Friends, Romans, countrymen, lend me your ears.
         I come to bury Cesar, not to praise him.


Cet enterrement, qui n’en est pas un vraiment du moins pas tant que Marc Antoine n’ait recueilli toute la légitimité de César mort, retourne la foule, c’est-à-dire l’opinion publique et les «légitimistes» vont gagner la guerre civile causée par l’assassinat.

 Comme souvent au théâtre, et surtout chez les classiques, la perfection de la langue fait oublier au spectateur contemporain l’importance de la situation. Le merveilleux texte de Marc Antoine n’aurait sûrement pas eu le même résultat sans la présence du cadavre de César. Et pour réaffirmer la remarquable habilité politique de Marc Antoine, Shakespeare lui fait prononcer au autre éloge funèbre à la fin de la pièce, cette fois-ci pour son ennemi Brutus qui vient de s’enlever la vie. Une légitimité de plus ne peut pas nuire. Fortinbras en fait autant sur le cadavre de Hamlet dont il  vient occuper le pays. Les deux textes terminent la pièce et annoncent l’ère nouvelle.

Cependant, l’enterrement le plus étonnant, à mon avis, se trouve dans Richard III, plus précisément dans la scène archi-connue entre Richard et Lady Anne. J’y consacrerai mon prochain texte.


mardi 8 avril 2014

Geste performatif II. Les apprentis sorciers du geste.

Dans mon dernier texte j’ai parlé du geste performatif et je me suis étonné que personne dans l’équipe du PQ n’ait prévu l’effet que produira celui de PKP. Il faut dire que si la société regorge de spécialistes de l’image, peu sont celles et ceux qui comprennent ou même s’intéressent au geste.

L’image est un instantané (il y a quelques décennies on appelait certaines formes de photographies «instantanés») qui fige un moment. Les faiseurs d’images contemporains tentent d’imprimer dans la conscience de l’observateur une idée aussi précise que possible de l’objet présenté.

À l’opposé, le geste s’inscrit dans le temps et dans l’espace. Il reflète, représente ou signifie une action qui a un commencement et une fin. Lorsqu’il est théâtral, il suscite le plaisir du spectateur en lui permettant de le suivre et d’en être touché. Le geste demande une participation du public là où l’image ne fait que vouloir procurer un plaisir esthétique, impressionner ou  convaincre.


Cependant, en dehors du théâtre, le geste, une fois accompli, a une vie quasi indépendante sur laquelle le créateur a relativement peu d’emprise. Tel l’apprenti sorcier qui voulait faire travailler le balai sans en connaître le mécanisme, celles et ceux qui veulent emprunter au théâtre l’art du geste sans en maîtriser les bases, courent souvent à la catastrophe.