mardi 23 novembre 2010

De la pérennité II et...adieu temporaire

Le texte qui suit met un terme temporaire à mon blogue sous sa forme actuelle. Deux raisons à cela.

D’une part je n’ai pas été constant et mes lectrices et mes lecteurs n’ont pas beaucoup réagi. C’est sans doute de ma faute et si je reprends ce genre d’activité, je veillerai à en tirer les leçons qui s’imposent.

D’autre part, contrairement à ce que j’ai annoncé, je vais sortir de ma « retraite » et faire une mise en scène.

Cependant, je continuerai d’aller au théâtre, d’y payer ma place, d’écrire, mais je ne publierai rien d’ici la fin du spectacle que je monte.

Merci à toutes celles et à tous ceux qui m’ont fait l’honneur de me lire et …peut-être à la revoyure!

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The following text marks the end of my blog under its current form. I have two reasons for stopping it.

On the one hand I haven’t been steadfast, and my readers haven’t seem to be very responsive. This is certainly my fault and, if I ever repeat this experience, I’ll make sure to learn from my mistakes.

On the other hand, contrary to my previous resolution, I will make a short comeback, the time to direct a show.

However, I will continue to go to the theatre, to pay for my tickets, to write, but will not publish anything until the en of the show I am involved with.

Many thanks to those who honored me by reading my texts, and …so long!


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Dans l’émission du 25 septembre de Ouvert le samedi de la radio de Radio-Canada, Lise Bissonnette, commentant les Journées de la culture, a soulevé la question du déséquilibre de plus en plus prononcé entre l’offre et la demande en matière culturelle.

Intellectuelle de gauche s’il en est, l’ancienne directrice du Devoir et de la Bibliothèque nationale du Québec ne peut être accusée de mercantilisme, même si elle a eu recours à une expression plus souvent utilisée dans les milieux de la finance que dans ceux des arts. Elle faisait donc part d’une évidence, à savoir que, au cours des dernières décennies, l’offre artistique et culturelle n’a cessé de croitre alors que la demande, c’est-à-dire la fréquentation des publics de toutes sortes a, au mieux stagné, au pire diminué. Cela m’a rappelé la petite théorie que j’avais élaborée, il y de cela plusieurs décennies, sur les conditions de la pérennité de l’événement théâtral.

Il va de soi que, sauf exception rarissime, l’événement théâtral ne peut avoir lieu que si un public donné rencontre un spectacle qui lui est destiné. Même les cas extrêmes de théâtre d’intervention, les expériences situationnistes ou les actions d'Augusto Boal, supposaient que cette rencontre se réalise. En d’autres mots, il faut que l’offre corresponde grosso modo à la demande.

Les théâtres qui souhaitent la pérennité de ces rencontres, c’est-à-dire leur succession plus ou moins régulière, doivent s’appuyer sur des référents communs sans lesquels l’événement théâtral est littéralement un dialogue de sourds. Le public doit avoir des points de repère suffisamment forts pour se sentir en terrain connu.

Parallèlement à ces référents culturels et à ce terrain connu, il faut que chaque événement apporte sa part de nouveauté, ou de variation, sans quoi il ne s’agirait que d’une répétition dépourvue de tout intérêt. Il faut donc, et ce n’est pas une nouveauté, une dynamique que l’on reconnaît quand on la rencontre.

(Un exemple aisément vérifiable est la retransmission à la radio des représentations du Metropolitan Opera de New York. Au moment des applaudissements, la commentatrice désigne les cantatrices et les chanteurs en nous informant de leur passé récent et de leur futur immédiat, inscrivant ainsi dans une continuité artistique, non seulement la représentation en question, mais aussi chacun des interprètes. Un parfait exemple de pérennité car ces retransmissions existent depuis la fin des années 1930!)

Ma petite pierre est une tentative de formule. Pour les besoins de la démonstration j’ai divisé l’événement théâtral en quatre composantes :

1. Le texte ou le prétexte
2. Le jeu
3. L’ordonnancement
4. La motivation

Le concept de texte ou de prétexte était relativement aisé à définir jusqu’à il y a une trentaine d’années. Aujourd’hui, dix ans après la parution du Théâtre postdramatique de Hans-Thies Lehmann, sans parler des performances et du nouveau cirque plus théâtral que nature, cela ne va plus de soi. Cependant, sans faire entrer tout dans un moule ancien, on peut dire que chaque événement a un propos, un narrative, même s’il ne s’exprime pas en mots.

Ce qui vaut pour le texte vaut également pour le jeu. Peut-être encore plus. Ce que nous appelions jeu il y a quelques décennies continue à régner, mais une infinité de formes d’expressions corporelles et vocales se sont ajoutées à l’arsenal théâtral et exigent maintenant droit de cité. Il n’en demeure pas moins qu’un ou plusieurs corps humains, faisant « quelque chose » de prévu devant des spectateurs prêts à y assister, peut être une définition acceptable. (Cette définition s’inspire librement de Richard Schechner)

L’ordonnancement est à la fois plus simple et plus compliqué. Simple, car j’y inclus tout ce qui concourt à l’événement, à l’exclusion des deux premières composantes. Compliqué car cela va de la vente du billet à la mise en scène dans le sens traditionnel du terme, en passant par l’organisation du bar à l’entracte. Son analyse est donc de plus en plus difficile au fur et à mesure que nous nous éloignons de l’organisation théâtrale traditionnelle (à défaut d’autre terme).

La motivation, qu’il s’agisse de celle des organisateurs ou de celle du public, désigne la raison que l’on se donne, ou que l’on nous prête, pour participer à un titre ou à un autre à l’événement théâtral.

Ces quatre composantes peuvent être soit stables soit variables c’est-à-dire qu’elles peuvent demeurer la même ou changer d’un événement à l’autre. La dynamique, plus ou moins forte qui en découle détermine, peu ou prou, la pérennité. En effet, il faut que, d’une part, le public puisse se baser sur des référents communs et, d’autre part, puisse jouir de nouveautés ou du moins de variations significatives. (Certes, cela suppose qu’on ait le droit de jouir de l’événement théâtral, ce qui, compte tenu de la morosité, voire de la hargne de certains créateurs d’aujourd’hui, est loin d’être évident.) Deux rapides exemples tirés de notre vie théâtrale peuvent illustrer cette démonstration.

Le Théâtre de la Catapulte d’Ottawa, compagnie franco-ontarienne, se consacre, depuis ses débuts, à la création d’ici, comme on dit. Son point d’ancrage a donc été les textes issus de son milieu artistique et culturel qui a attiré un public appréciable. Ce public s’attend à ce que l’orientation de ces textes demeure la même. Jouer des auteurs d’ici et maintenant étant également une prise de position politique et sociale, la motivation forte de part et d’autre, est également assurée. À ces composantes, en somme assez stables, répondent deux autres qui sont variables, à savoir le jeu et la mise en scène, c’est-à-dire un élément important de l’ordonnancement. C’est ce qu’a essayé de faire ressortir, avec succès, le directeur sortant, Joël Beddows créant ainsi une dynamique forte et attrayante, quelque ait été la réussite de tel ou tel spectacle individuel. (Cela ne veut pas dire que son successeur suivra le même chemin. Peut-être trouvera-t-il une autre dynamique, adaptée à une nouvelle ère.)

L’exemple inverse est le Théâtre français du Centre national des arts qui depuis des années semble avoir perdu tout idée d’ancrage avec son public. Les spectacles qui sont montés à l’extérieur, et ne font que passer ici, sont conçus en fonction de contextes auxquels le public local n’a aucun accès. S’il y a contact avec le spectateur qui paie sa place, «l’infâme bourgeois bouffi de kitch», il se fait par des textes qui se veulent tantôt poétiques, tantôt théoriques, souvent insultants. En somme, aucun fil conducteur qui se manifesterait dans les productions elles-mêmes, sinon la carrière internationale de son directeur artistique. Ainsi, lorsque les variations ou les nouveautés se manifestent, le spectateur est forcément perdu… et promptement condamné :

Des gens peu enclins à nous aimer disent de nos œuvres qu’elles sont parfois sombres, inaccessibles, trop longues, voire incompréhensibles. Nous avons ainsi le sentiment profond qu’ils sont dans l’incapacité d’écouter et de voir autrement que de cette façon banale, convenue, admise et dictée par le plus grand nombre, et qu’il n’ont toujours pas compris que nous témoignons du monde et qu’il est donc de notre devoir de le faire voir tel qu’il est. (Rebut total de Christian Lapointe et plusieurs autres auteurs, dans L’Oliseau-Tigre, septembre 2010, publication du Théâtre français du CNA)

Bien entendu on peut ne pas avoir envie de contribuer à la pérennité théâtrale. La plupart des artistes qui se réclament du postmodernisme n’en ont cure et certaines tendances performatives s’y opposent. Cependant, il faut savoir ce qu’on veut. On ne peut à la fois construire des saisons avec abonnements et vedettes internationales à dates fixes et refuser la structure qui en est la base. Ce n’est pas de la rébellion artistique, c’est de l’enfantillage.