vendredi 25 juin 2010
AVANT L'ÉTÉ
C'est mon dernier texte avant les vacances. À partir de la mi-août je publierai un texte au moins tous les quinze jours.
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Un ami a attiré mon attention sur la difficulté d'afficher des commentaires sur le blogue. En effet, je n’ai pas suffisamment exploré tous les arcanes de l’industrie des blogues avant d’opter pour un support, et ne me suis donc pas rendu compte qu’afin d'ajouter un commentaire, il fallait s’enregistrer. J’ai découvert depuis que presque tous les sites fonctionnent de la même façon.
Cependant, je comprends parfaitement que certaines personnes ne veuillent point s’enregistrer, même si c’est simple et sans danger. Dans ces cas vous pouvez me faire parvenir vos commentaires par courriel (egervari@uottawa.ca) et je vais les afficher sans y changer une virgule. (Cependant, je serai loin de mon ordinateur entre le 12 juillet et le 1er août.) Alors participez, si le cœur vous en dit!
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MAIS OÙ SONT DONC LES COMÉDIENS?
Fin mai, mes collègues du Départent de théâtre de l’Université d’Ottawa ont organisé un colloque international intitulé Du bon et du mauvais usage de la théorie théâtrale. La qualité des interventions était remarquable avec, comme toujours dans ces événements, quelques communications un peu plus faibles. Mais l’ensemble valait largement le déplacement.
Cependant, après la dernière conférence, je me suis rendu compte qu’au bout de deux jours et demi de discussions, je n’ai pas entendu une seule communication qui aurait traité de la comédienne ou du comédien. Tout se passait comme si, pour paraphraser Florence Dupont, les acteurs n’étaient plus « bons à penser ». Comme si le fait qu’ils soient de moins en moins nombreux en scène, de moins en moins éclairés, sauf aux saluts, de moins en moins annoncés dans les programmes, de moins en moins présents sur les affiches, les avait réduits à l’état d’accessoires qui n’intéressent que comme sujets à être dirigés ou à être formés. Je suis intervenu pour faire part de mon étonnement lorsqu’un jeune metteur en scène s’est mis à parler de « ses » acteurs. J’avoue avoir perdu mon calme et lui ai dit que ces acteurs ne portaient pas sa livrée et n’étaient donc pas les siens.
L’anecdote serait sans importance et pourrait n’être que la manifestation peu élégante d’un vieux grognon pointilleux (moi), si elle n’était un signe des temps qui devrait inquiéter celles et ceux qui s’intéressent au théâtre dans le sens large du terme. Car quoi qu’on en dise et quoi qu’on en pense, pour l’immense majorité des publics, l’acteur et l’actrice demeurent au centre de l’événement théâtral.
Au même moment que se déroulait le colloque, le Centre national des arts d’Ottawa présentait Sonate d’automne d’Ingmar Bergman dans une production du Groupe de la Veillée. Je sais ce que la presse a écrit sur ce spectacle, reprochant bien des choses au metteur en scène Marcel Pomerlo. Quant à moi, en dépit de l’immense admiration que j’ai pour Bergman, le cinéaste qui a marqué ma jeunesse sinon toute ma vie, je trouve que le thème et la dramaturgie de la pièce datent, comme date le problème de Nora dans Maison de poupée. Quant au public du CNA, qui applaudissait debout juste huit seconds après la fin, n’avait d’yeux que pour les comédiennes et le comédien. Et ce public avait raison parce qu’il a eu la chance de voir d’excellents acteurs dont deux des plus grands du pays, Andrée Lachapelle et Gabriel Arcand. De plus, Pomerlo avait eu le bon sens et le bon goût de reconnaître qu’il s’agissait d’un spectacle d’acteur et qu’il a pris soin de ne pas gâcher notre plaisir en imposant quantités d’innovations électroniques et d’autres bandes sonores.
Les publics de Hongrie et d’Allemagne ont droit à ce plaisir beaucoup plus souvent que nous. Les seuls chiffres sont déjà éloquents. À Budapest, sur les quatre spectacles que j’ai vus dans quatre théâtres différents, il y avait en moyenne quinze comédiens sur scène. Trois de ces spectacles étaient produits par ce que nous appelons des théâtres institutionnels et le quatrième par une troupe expérimentale. À Berlin, j’ai vu Biedermann et les incendiaires dans la petite salle du Berliner Ensemble, Maître Puntila et son valet Matti au Deutsches Theater et Amour et intrigue de Schiller au Schaubühne. Dix comédiens sur scène en moyenne. De plus, six de ces sept spectacles mettaient en scène de vrais musiciens dont quatre des orchestres d’au moins cinq personnes. En comparaison, dans la programmation 2009-2010 pour adultes du Théâtre français du Centre national des arts, il y a eu en moyenne moins de six comédiennes ou comédiens par production.
On sait que les théâtres d’Europe centrale sont subventionnés. Les nôtres aussi. C’est une question de répartition des fonds dont on dispose qui, dans tous les cas, sont forcément limités. Chacun fait ses choix. D’où vient donc que là-bas ces choix portent essentiellement sur les comédiens et que, dès qu’on franchit le Rhin en allant vers l’Ouest, se manifeste la tendance de leur accorder de moins en moins d’importance? Il y a d’abord le poids de la tradition.
Les théâtres d’Europe centrale et orientale sont basés sur le système de la troupe permanente, un peu comme la Comédie Française qui, toutefois, est une exception en France. La troupe permanente est un concept à la fois artistique et économique. Artistique, car l’art du jeu est au centre de son fonctionnement et la diversité des actrices et des acteurs qui la composent en fait la valeur. La troupe permanente présente des spectacles en alternance et demande donc à ses membres de jouer plusieurs rôles au cours de la même année. Le nombre de productions au programme de chaque saison diffère d’un théâtre à l’autre mais, en général, il s’agit d’une combinaison de nouvelle mises en scène et de spectacles qui sont restés à l’affiche. Par exemple, la production de Biedermann date de 2002, alors que la première de Puntila a eu lieu cette saison. Il va de soi que les actrices et les acteurs qui jouent en alternance plus d’une demi-douzaine de rôles par saison sont mieux à même de développer et d’entretenir leur technique. Cela n’ajoute rien à leur talent mais, statistiquement parlant, ils ont plus de chances de trouver ce que Zeami appelle « la fleur ».
D’un point de vue économique la troupe permanente doit « utiliser » le mieux possible les comédiens qu’elle paye à l’année. Ils sont donc mis à contribution pratiquement tous les jours, soit en jouant le soir, soit en répétant le jour, soit les deux. Quant aux subventions, elles sont accordées aux troupes, composées d’un certain nombre de comédiens – cela peut aller d’une bonne dizaine à au-delà d’une cinquantaine – et d’une équipe dirigeante.
Dès lors on comprend que, dans un tel système, on ne trouve pas de bio de comédiens dans les programmes car ils sont connus du public dont un des plaisirs et de comparer leurs différentes interprétations. Cependant, les photos des membres de la troupe sont affichées dans l’entrée ou dans le foyer du théâtre, soulignant ainsi leur importance dans l’organisation. L’arrivée dans une compagnie, ou le départ, d’un grand talent soulève autant de questions dans la presse que le transfert d’un joueur des Canadiens de Montréal.
Cela ne veut pas dire que la mise en scène soit négligée. Loin s’en faut. Mais compte tenu du nombre de comédiens dans une troupe, de leur poids dans l’organisation de l’événement théâtral et des exigences du public, aucun directeur artistique ou metteur en scène ne pourrait impunément les traiter comme des ubermarionnettes. Il y a donc, au-delà de la tradition, une dynamique contemporaine qui n’oblitère pas la place du comédien.
Qu’on me comprenne bien. Un système ne donne, ni n’enlève du talent. L’an dernier j’ai vu Gabriel Arcand jouer Ray dans Blackbird de David Harrower, produit par le Groupe de la Veillée dans une mise en scène de Téo Spychalski. C’était absolument magique. Cela fait plus de soixante ans que je vais au théâtre, des dizaines de fois par saison, et je puis compter sur les doigts des deux mains les actrices et les acteurs qui m’aient fasciné comme Arcand m'a fasciné dans ce rôle. Mais il est bien regrettable que ce spectacle ne reste pas à l’affiche quelque part, que le public de ma région n’ait pu le voir car le Centre national des arts a invité une autre compagnie, française celle-là, pour donner, médiocrement, la même pièce, et que je ne puisse voir Gabriel Arcand jouer Shakespeare ou Brecht entouré de grandes distributions!
Nous sommes déjà en été et si vous projetez une visite en Avignon, voici comment y annonce-t-on un spectacle :
JEAN-BAPTISTE SASTRE LA TRAGÉDIE DU ROI
RICHARD II
de William Shakespeare
Et si vous voulez en savoir plus, vous apprendrez le nom et la fonction de tous les collaborateurs, y compris ceux des conseillers scientifiques Ircam pour la WFS (Wave Field Synthesis). En revanche, la liste des actrices et des acteurs est en ordre alphabétique suivie de «(distribution en cours)». Aucune mention des rôles que ces interprètent vont jouer. Après tout, ça ne doit pas être bien important.
Bon été à toutes et à tous!
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