dimanche 18 avril 2010

Bien que je parte pour un mois à l'étranger, je tenais à publier ce premier message car il est d'actualité pour la région où je vis et, pour paraphraser un politicien américain, tout théâtre est local.  Cependant, je lirai vos commentaires et ajouterai peut-être des messages, au hasard des connections sans fil en Hongrie en Allemagne et en France.

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 Ce texte a été écrit avant que Radio-Canada n’ait soulevé la question des images parues dans le programme de la saison 2010 – 2011 du Théâtre français du Centre national des arts. Ce n’est pas mon propos. Je ne dispute ni les convictions artistiques de M. Wajdi Mouawad, ni son droit de publier des images qui choquent. C’est la manière dont il assume son rôle de directeur artistique d’une grande compagnie de théâtre subventionnée qui m’inquiète profondément.

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Mais que lit Wajdi Mouawad?

Le luxueux programme de la saison 2010 – 2011, que le Théâtre français du Centre national des arts m’a fait parvenir, reflète avec éloquence la direction qu’a prise cette compagnie. Comme les années précédentes, un thème, utilisant la première personne du pluriel, définit la programmation qui cette année est « Le kitsch nous mange ». On pourrait penser que ce « nous » désigne l’équipe créatrice de M. Wajdi Mouawad. Il n’en est rien, car son introduction intitulée «Qu’est-ce qui nous dévore?» commence ainsi :

    Qu’est-ce qui dévore nos contemporains?
    Ceux et celles que nous croisons, ces êtres humains-là?
    Qu’est-ce qui les dévore?

Manifestement ce « nous » exclut la personne qui parle ex cathedra pour nous dire, à nous pauvres innocents, que nous nous faisons dévorer par le kitsch sans nous en rendre compte. Notre péché est d’être enfouis « [s]ous le vernis infect du faux bonheur ». Nous sommes des « humains ikéaïsés » (sic) dont le salut est le théâtre, le théâtre de M. Mouawad.  Le ton est donné, Savonarole a de glorieux descendants.

Suite à ce prêche, et à celui du responsable de la programmation enfance/jeunesse qui, lui, s’attaque aux « faux besoins », et à « la marchandisation de l’expérience humaine » dont nous sommes tout aussi coupables, on passe à la présentation détaillée de la saison. Après les leçons morales, l’éducation classique.

Non pas par le choix des pièces, si l’on excepte Les Justes de Camus, mais par l’accumulation d’expressions latines qui accompagnent chaque annonce de spectacle. Ah! si au lieu d’acheter des meubles aux noms suédois, nous, les ikéaïsés, lisions Virgile dans le texte! Nous serions déjà à moitié sauvés de notre déchéance morale et intellectuelle. Mais il ne faut point désespérer. Le 25 février, pour une seule soirée, et en « exclusivité canadienne », nous pourrons sortir de notre torpeur en entendant la lecture des lettres que M. Yann Martel a expédiées au Premier ministre pour l’éclairer sur les vertus de ce qu’il considère être la bonne littérature. Cette soirée s’intitule Mais que lit Stephen Harper?

J’avoue que, tant qu’à vouloir nous édifier ainsi que le Premier ministre, j’aurais préféré que le Théâtre français du Centre national des arts choisisse une ou deux grandes œuvres canadienne de langue française. Je songe en particulier à Claude Gauvreau, que l’on ne peut accuser ni d’être kitsch, ni d’être marchandisé. On sait que la compagnie ne crée plus rien sur place, ce qui est pour le moins étonnant compte tenu de son budget de production considérable. Néanmoins, elle aurait pu inviter  L’asile de la pureté,  écrit en 1953, que le Théâtre du Trident a repris en mars 2009. Encore faudrait-il éclairer la lanterne de M. Mouawad au sujet de cet auteur et de cette pièce. En effet dans une interview donnée au journal Le Monde (8 juillet 2009) il a déclaré ceci :
   
«A l'Ècole [École nationale du théâtre du Canada], j'apprends le jeu, mais je me rends vite compte que ce n'est pas ma voie. Un auteur génial, Claude Gauvreau, écrit pour nous une pièce, L'asile de la pureté. L'histoire d'un poète, accusé du meurtre de sa petite amie, qui fait une grève de la faim. Claude Gauvreau me demande de faire le poète.
Il ne me met pas sur scène, mais au balcon, où je fais semblant d'écrire, et d'où j'envoie ensuite les feuilles. La pièce durait trois heures et demi. Au début, j'ai écrit des répliques de L'asile de la pureté. Comme ça devenait lassant, j'ai commencé à écrire ma propre histoire, celle d'un type enfermé dans les toilettes, qui ne veut plus sortir. Gauvreau me donne la structure, un rythme. Sans le savoir, il devient un tuteur. A la fin des représentations, j'ai ainsi écrit deux actes de Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, ma première pièce. Je continue dans un grand état de bonheur, de hâte.»

Cet extrait nous apprend deux choses. Premièrement qu’il semble y avoir du vrai bonheur qui ne soit pas un « vernis infect », à condition que ce bonheur-là soit celui d’un jeune auteur dramatique. Deuxièmement que M. Mouawad, soit ne sait pas qui était Claude Gauvreau, un des très grands poètes et dramaturges de langue française, mort en 1971, c’est-à-dire trois ans après la naissance de M. Mouawad, soit il pense qu’on peut dire n’importe quoi. J’ai la désagréable impression que, quel que soit le cas de figure, nous avons été floués.