Je reviens une troisième fois sur le geste
politique performatif, car ce qui s’est passé à la soirée électorale du Parti
québécois mérite une analyse théâtrale.
L’usage veut que, au moment où les résultats
ne font plus de doute qu’il s’agisse de victoire ou de défaite, aucun discours
substantif ne précède celui du chef de parti. Or, avant que Pauline Marois n’ait
effectivement démissionné, trois candidats élus du PQ, Pierre Karl Péladeau, Jean-François Lisée et
Bernard Drainville, qui à tort ou à raison sont considérés comme de prétendants
à la chefferie, se sont livrés à une sorte de surenchère de profession de foi
politique.
Ce geste a été immédiatement dénoncé par la
quasi-totalité des commentateurs avec des mots parfois très durs. Quelques-uns
ont utilisé l’analogie d’un cadavre encore chaud dont on veut s’emparer des
biens. Réflexion faite, cette analogie est assez juste.
Les sociétés ont des règles précises
concernant l’enterrement des morts physiques, spirituels ou institutionnels que
même les héritiers les plus légitimes doivent observer. C’est lors de ces
cérémonies que sont transmis, symboliquement et en public, les legs auxquels
les successeurs peuvent prétendre. Les familles portent en terre leurs morts et
ce sont celles et ceux qui sont au premier rang qui reçoivent l’héritage
physique ou spirituel.
En politique l’héritage principal, voire
unique, est la légitimité. C’est elle qui donnait jadis l’autorité au prince
qui enterrait son père le roi. Le processus est plus subtil en démocratie,
puisqu’en principe le pouvoir n’est pas héréditaire. Cependant, lorsque le
général de Gaulle est mort et le président en exercice s’est immédiatement
rendu à Colombey-les-Deux-Églises pour s’incliner devant le défunt, la famille
a fait fermer le cercueil avant son arrivée. En effet, le président Pompidou, collaborateur
et premier ministre du général, a été perçu par la famille comme un traître
pour avoir trop tôt déclaré son intention de succéder à son mentor et ancien
patron. Le geste de la famille était le refus de transmission de légitimité
spirituelle. Au demeurant, le général s’est lui-même considéré comme sans
successeur politique puisqu’il a interdit l’accès à ses funérailles à toute
autorité civile.
Au théâtre c’est sans doute Shakespeare, encore
lui, qui a traité cette question avec le plus de force et de subtilité.
L’exemple peut-être le plus connu se trouve dans Jules César. Marc Antoine, ami proche du leader assassiné, arrive
sur les lieux du crime et obtient des meurtriers de pouvoir prononcer un éloge
funèbre. Ceux-ci, après avoir convaincu la foule de la nécessité de leur geste,
laissent Marc Antoine avec le cadavre de César face à la foule. Le futur membre
du Triumvirat prononce sur le corps «encore fumant» le discours dont tous les
élèves anglophones connaissent au moins le début :
Friends, Romans, countrymen, lend me your ears.
I come to bury Cesar, not to praise
him.
Cet enterrement, qui n’en est pas un vraiment
du moins pas tant que Marc Antoine n’ait recueilli toute la légitimité de César
mort, retourne la foule, c’est-à-dire l’opinion publique et les «légitimistes»
vont gagner la guerre civile causée par l’assassinat.
Comme
souvent au théâtre, et surtout chez les classiques, la perfection de la langue
fait oublier au spectateur contemporain l’importance de la situation. Le
merveilleux texte de Marc Antoine n’aurait sûrement pas eu le même résultat
sans la présence du cadavre de César. Et pour réaffirmer la remarquable
habilité politique de Marc Antoine, Shakespeare lui fait prononcer au autre
éloge funèbre à la fin de la pièce, cette fois-ci pour son ennemi Brutus qui
vient de s’enlever la vie. Une légitimité de plus ne peut pas nuire. Fortinbras
en fait autant sur le cadavre de Hamlet dont il
vient occuper le pays. Les deux textes terminent la pièce et annoncent
l’ère nouvelle.
Cependant, l’enterrement le plus étonnant, à
mon avis, se trouve dans Richard III,
plus précisément dans la scène archi-connue entre Richard et Lady Anne. J’y
consacrerai mon prochain texte.