jeudi 19 août 2010

De la pérennité

Le commentaire de Daniel m’a fait penser à l’importance de la pérennité de la vie théâtrale, notion qui ne contredit en rien la nature éphémère de chaque événement individuel. C’est l’enchaînement de ces événements, et le fil d’Ariane qui les relie, qui créent la compréhension entre un public particulier et son théâtre. Le public des mises en scènes «internationales», qui se répondent des unes aux autres dans le circuit des festivals, est sans doute comblé par les innovations et les clins d’œil des metteurs en scène globetrotteurs, car il se déplace avec les spectacles. Tel dans un village global, on se retrouve donc entre festivaliers, spécialistes et connaisseurs éclairés, reprenant les conversations là où on les a laissées au dernier rassemblement. Puis, on prolonge la réflexion dans des publications savantes, bouclant ainsi la boucle, en attendant la prochaine saison internationale. C’est ce genre de communauté de plaisir et de réflexion qui établit la pérennité de la vie théâtrale.

Hélas, le public d’ici et maintenant qui achète son abonnement ou son billet individuel n’a été ni en Avignon ni à Edinbourg ni ailleurs. Il n’a pas participé aux débats tendance, et lorsqu’on lui présente le dernier cri festivalier, qui plus est en langue étrangère, il est comme l’amateur de sport d’Arabie Saoudite à qui on vend un match de hockey. Il a beau aimer le sport, celui qu’on joue sur une surface glacée lui est pratiquement inconnu. Il n’en connaît ni les règles ni les subtilités alors qu’un enfant de huit ans de Montréal ou de Saint-Lin en comprend, non seulement les règles, mais aussi, mais surtout, le génie d’un Crosby.

De même, qu’on ne peut reprocher au spectateur saoudien de ne pas pouvoir distinguer Crosby d’un « plombier », de même, on ne peut tenir rigueur au spectateur d’ici de ne pas faire la différence entre deux spectacles internationaux, car il n’a été exposé qu’au répertoire et au système de codes de son « patelin ». J’utilise ce mot, car une région urbaine de plus d’un million d’habitants où le public n’a droit qu’à un éventail théâtral réduit est, de ce point de vu-là, un patelin. Certes, dans cet éventail réduit se trouvent des spectacles de très grande valeur et notre spectateur les reconnaîtra pour peu que ces créations s’appuient sur des référents culturels et artistiques qui lui sont familiers. Car, qu’il habite un patelin ou une grande ville, le public de théâtre n’est ni ignare, ni sot, sauf qu’on ne peut comprendre une conversation dont on ignore les tenants et les aboutissants.

La pérennité de la vie théâtrale de mon patelin dépend donc de la capacité des artisans du théâtre à susciter une conversation avec ce public particulier. Je reviendrai en détail sur cette question, mais aujourd’hui je voudrais terminer par un extrait de l’important ouvrage de Florence Dupont, Aristote ou le vampire du théâtre occidental.

« Une tragédie athénienne prend sens dans l’ensemble des concours musicaux de cette année-là, dans cette cité-là, et elle s’inscrit ainsi dans une continuité rituelle. Cette continuité est assurée par les spectateurs qui sont les garants du respect de la fête et la mémoire de la cité, ce qui explique la dimension métathéâtrale des comédies et des tragédies grecques. Chaque poète-chanteur se pose par rapport à ceux qui précèdent, tout en rappelant les règles du jeu ; il marque par son style différent la singularité du présent, en même temps qu’il crée la profondeur du temps de la cité sur le monde de la succession et de la filiation.

Aristote, en arrachant volontairement le théâtre à son contexte énonciatif, lui ôtait toute sa force d’institution. Une tragédie aristotélicienne est faite par n’importe qui, pour n’importe qui, elle peut être jouée n’importe où, n’importe quand. »

À suivre…

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