mercredi 26 mars 2014

Geste performatif, ou PKP et le théâtre

À  deux-tiers de la campagne des élections québécoises 2014 on peut certainement affirmer que, l’événement le plus marquant aura été l’entrée en politique de Pierre Karl Péladeau ou KPK. Plus encore que le fait de se porter candidat pour le Parti québécois, c’est son poing levé accompagnant les derniers mots de sa déclaration : « [f]aire du Québec un pays !» qui a changé l’orientation de la campagne.

Quelle qu’ait été la motivation de PKP de lever le poing pour dire une phrase somme toute normale pour un candidat péquiste, je suis loin d’être sûr qu’il ait mesuré la portée de son geste hautement performatif. Comme l’écrit Ervin Goffman, le grand sociologue,

[t] he incapacity of the ordinary individual to formulate in advance the movements of his eyes or body does not mean that he will express himself through theses devices in a way that is dramatized and pre-performed in his repertoire of actions. In short we act better than we know. (The Presentation of Self in everyday Life, 1959)

Ces gestes performatifs, dont De Gaulle était un maître incontesté, balaient tout sur leur passage.  Des milliers de pages de stratégie électorale sont devenues caduques en quelques secondes car personne, pas même le professionnel de la scène qui met en scène la campagne de Mme Marois, n’avaient prévu l’effet du geste.


Pourtant, le théâtre contemporain est de plus en plus porté sur le geste, la performance, le performatif. C’est ici que le paradoxe devient intéressant. Une partie importante des spectacles de performance repose sur le désir de l’aléatoire, qui est souvent difficilement atteignable au théâtre. En revanche, il arrive que «the ordinary individual» dont parle Goffman y arrive et obtienne le résultat diamétralement opposé à son intention.  

mercredi 19 mars 2014

Pilori et théâtre

Maintenant que journaux et radios se sont mis à s’intéresser, qui à la campagne électorale québécoise, qui au sort de l’Ukraine et de la Crimée, qui à la Boeing 777 disparue, on peut peut-être essayer de réfléchir sur un sujet qui ne semble avoir été traité que par des slogans. Je veux parler de ce que certains appelle «la culture de viol» qui imprègnerait non seulement le campus de l’Université d’Ottawa mais aussi ceux d'autres universités du pays, voire toute la société.

Rappelons que, d’une part, aucune accusation n’a encore été portée contre des membres de l’équipe de hockey de l’Université d’Ottawa et, d’autre part, la conversation privée de cinq étudiants, pour ordurière qu’elle ait été, ne tombe sous aucune loi. Qu’à cela ne tienne, journaux et radios se sont lancés dans une campagne de dénonciation d’individus qui est vite devenue une croisade contre la «culture de viol». Or, il n’y a aucune preuve que des dizaines de milliers d’étudiants mâles de l’Université d’Ottawa, ou d’autres universités, soient des violeurs potentiels. Alors pourquoi cette montée aux barricades ?

Afin que la vertu, propre à chaque société et à chaque époque, triomphe, il faut des mécréants débusqués et punis. Ils servent de repoussoir car leur caractère ignoble insuffle le dégoût et la terreur du mal, tout en renforçant l’autosatisfaction des justes. Le pilori est l’instrument désigné pour produire ce double effet.

Contrairement la prison où le délinquant est à l’abri des regards, le pilori est par définition publique. Le poteau qui n’existe plus physiquement, est avantageusement remplacé par des média professionnels et sociaux. Plus besoin de procédures judiciaires longues, d’avocats de la défense pointilleux ou de présomption d’innocence. Dénoncé, vous êtes un mécréant. C’est ainsi qu’on a vu un maire de Montréal forcé de démissionner, car un témoin (qui plus tard s’est avéré être un menteur) l’a mis en cause sans aucune preuve devant une Commission d’enquête.

Tous les membres d’une équipe de hockey ont été mis au pilori sur simple dénonciation d’une tierce personne, alors que même les soupçons ne pèsent que sur certains d’entre eux. Un pilori collectif est bien mieux.

Même la Chancelière s’est laissée emporter par la rhétorique de la «culture de viol», contrairement au Recteur qui, heureusement, s’est refusé à utiliser le terme.


De tout temps le théâtre s’est intéressé aux personnages mis au pilori. De Prométhée cloué au rocher aux sorcières de Salem en passant par Kent mis aux ceps dans Lear, la vue d’une personne bafouée sans jugement légitime rappelle aux spectateurs leurs devoirs de justice. Une bonne pièce sur les hystéries collectives nous changerait du «théâtre identitaire» qui règne sur nos scènes en roi et maître.

mardi 4 mars 2014

Pourquoi cette Charte des valeurs québécoises?

Pour marquer le début de la campagne électorale québécoise, je reproduis ici l'article que j'ai publié dans Le Droit le 25 septembre dernier. J'écrirai le même texte aujourd'hui avec deux réserves.
Certes, le gouvernement a changé le titre de ce qui est devenu un projet de loi, mais tout le monde continue de le désigner sous l'ancienne appellation, sans que le gouvernement s'en formalise. Le pouvoir continue donc de vouloir donner à cette Charte une valeur qui dépasse l'habillement des agents de l'État. 
Je n'écrirais plus que le Parti québécois ne croit pas que cette Charte peut lui procurer une majorité. Manifestement le parti table là-dessus. Nous verrons. 
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À part les dictatures idéologiques, comme le nazisme et le bolchévisme, ou les théocraties, comme celle de l'Iran, les pouvoirs séculiers se sont toujours appuyés sur les valeurs de leurs sociétés au nom desquelles ils prétendaient gouverner. En Occident, pendant presque deux millénaires, ces valeurs ont été définies par les autorités religieuses chrétiennes. La cohabitation de ces deux ordres d'autorités, pour houleuse qu'elle ait été, chacun essayant d'empiéter sur la juridiction de l'autre, a permis de garder un certain équilibre et empêcher la concentration de tous les pouvoirs entre les mêmes mains.
Parmi les exceptions importantes on note l'établissement de l'Église anglicane par Henry VIII au XVIe siècle.
Le déclin de la suprématie religieuse, à partir de la fin du XVIIIe siècle, a ouvert le champ du pouvoir spirituel à la compétition. Les élites intellectuelles, philosophes, écrivains et artistes ont tôt fait de vouloir remplir le vide. Certains idéologues y ont vu la réalisation de leur rêve: l'État détenant à la fois les pouvoirs spirituel et séculier. En d'autres termes, un État qui soit sa propre justification. Staline et Hitler y sont arrivés avec les résultats que l'on connait.
Limiter l'État
Heureusement, dans la majorité des cas, les sociétés ont résisté à cette hégémonie de l'État. Les États-Unis en sont l'exemple type, car leur constitution consiste essentiellement à limiter les pouvoirs de l'État, lui interdisant expressément de se mêler de ce qui ne le regarde pas.
Ailleurs, les sociétés civiles ont su résister et se réserver le droit de vivre selon des valeurs essentiellement consensuelles. Aucun État démocratique ne s'est encore donné le ridicule de vouloir imposer ses valeurs dans un document solennel, a fortiori quand ces valeurs se réduisaient à des questions d'intendance vestimentaire. On se demande donc quelle mouche a piqué Pauline Marois et son ministre Bernard Drainville à s'aventurer sur un terrain aussi dangereux? La réponse n'est pas simple.
Personne de bonne foi ne peut croire sérieusement que le gouvernement du Parti québécois ait des visées dictatoriales. L'électoralisme de bas étage est également à écarter, car les stratèges du PQ savent parfaitement que ce projet de charte ne leur apportera pas les voix dont ils ont besoin pour former un gouvernement majoritaire. Reste l'idéologie, hélas!
Langue, puis laïcité
Si un gouvernement doit s'appuyer sur des valeurs consensuelles pour assoir son autorité, cette nécessité est encore plus forte s'il s'agit de la création d'un pays. Le gouvernement de René Lévesque a fait le premier grand pas dans cette direction avec la Charte de la langue française. Or, il s'est avéré que la valeur «langue», en dépit de son importance pour les Québécois, n'a pas suffi pour gagner un référendum. La laïcité à la française paraissait donc tentante. Se rapprocher des valeurs jacobines de la France et, partant, s'éloigner de celles du monde anglo-saxon, basées sur les droits individuels, semblait un bon stratagème. Une différence de plus entre nous et eux.
Le hic est que la laïcité à la française est loin de toucher l'âme québécoise. Je n'ai jamais vu une manifestation de masse en sa faveur. D'autant que la laïcité française a pour base la séparation de l'Église et de l'État. L'Église catholique s'entend et tout le monde sait que si problème il y a au Québec, il n'est pas celui-là. La neutralité de l'État québécois est acquise depuis longtemps et l'égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans nos lois fondamentales.
La laïcité, une valeur
Le seul but de l'opération est donc de nous convaincre que la laïcité est une de nos grandes valeurs, qu'elle est en danger et que, à l'instar de la Charte de la langue française, celle-ci contribuera à affirmer notre identité. La différence est que la Loi 101 était basée sur une valeur plusieurs fois centenaire : l'attachement des Canadiens français à leur langue.
Nous allons donc nous engager dans un débat long et infructueux, car la société québécoise n'est pas prête à accepter que le gouvernement lui impose des valeurs dont elle n'a que faire. Ses valeurs, elle les développe à son rythme, sur une base consensuelle comme dans toute démocratie qui se respecte. Quant au gouvernement, son devoir est de faire son travail pour lequel il a été élu en respectant scrupuleusement les valeurs dont l'élaboration n'est pas de son ressort.