Pour marquer le début de la campagne électorale québécoise, je reproduis ici l'article que j'ai publié dans Le Droit le 25 septembre dernier. J'écrirai le même texte aujourd'hui avec deux réserves.
Certes, le gouvernement a changé le titre de ce qui est devenu un projet de loi, mais tout le monde continue de le désigner sous l'ancienne appellation, sans que le gouvernement s'en formalise. Le pouvoir continue donc de vouloir donner à cette Charte une valeur qui dépasse l'habillement des agents de l'État.
Je n'écrirais plus que le Parti québécois ne croit pas que cette Charte peut lui procurer une majorité. Manifestement le parti table là-dessus. Nous verrons.
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À part les dictatures idéologiques, comme le
nazisme et le bolchévisme, ou les théocraties, comme celle de l'Iran, les
pouvoirs séculiers se sont toujours appuyés sur les valeurs de leurs sociétés
au nom desquelles ils prétendaient gouverner. En Occident, pendant presque deux
millénaires, ces valeurs ont été définies par les autorités religieuses
chrétiennes. La cohabitation de ces deux ordres d'autorités, pour houleuse
qu'elle ait été, chacun essayant d'empiéter sur la juridiction de l'autre, a
permis de garder un certain équilibre et empêcher la concentration de tous les
pouvoirs entre les mêmes mains.
Parmi les
exceptions importantes on note l'établissement de l'Église anglicane par Henry
VIII au XVIe siècle.
Le déclin
de la suprématie religieuse, à partir de la fin du XVIIIe siècle, a ouvert le
champ du pouvoir spirituel à la compétition. Les élites intellectuelles,
philosophes, écrivains et artistes ont tôt fait de vouloir remplir le vide.
Certains idéologues y ont vu la réalisation de leur rêve: l'État détenant à la
fois les pouvoirs spirituel et séculier. En d'autres termes, un État qui soit
sa propre justification. Staline et Hitler y sont arrivés avec les résultats
que l'on connait.
Limiter l'État
Heureusement,
dans la majorité des cas, les sociétés ont résisté à cette hégémonie de l'État.
Les États-Unis en sont l'exemple type, car leur constitution consiste
essentiellement à limiter les pouvoirs de l'État, lui interdisant expressément
de se mêler de ce qui ne le regarde pas.
Ailleurs,
les sociétés civiles ont su résister et se réserver le droit de vivre selon des
valeurs essentiellement consensuelles. Aucun État démocratique ne s'est encore
donné le ridicule de vouloir imposer ses valeurs dans un document solennel, a
fortiori quand ces valeurs se réduisaient à des questions d'intendance
vestimentaire. On se demande donc quelle mouche a piqué Pauline Marois et son
ministre Bernard Drainville à s'aventurer sur un terrain aussi dangereux? La
réponse n'est pas simple.
Personne
de bonne foi ne peut croire sérieusement que le gouvernement du Parti québécois
ait des visées dictatoriales. L'électoralisme de bas étage est également à
écarter, car les stratèges du PQ savent parfaitement que ce projet de charte ne
leur apportera pas les voix dont ils ont besoin pour former un gouvernement
majoritaire. Reste l'idéologie, hélas!
Langue, puis laïcité
Si un
gouvernement doit s'appuyer sur des valeurs consensuelles pour assoir son
autorité, cette nécessité est encore plus forte s'il s'agit de la création d'un
pays. Le gouvernement de René Lévesque a fait le premier grand pas dans cette
direction avec la Charte de la langue française. Or, il s'est avéré que la
valeur «langue», en dépit de son importance pour les Québécois, n'a pas
suffi pour gagner un référendum. La laïcité à la française paraissait donc
tentante. Se rapprocher des valeurs jacobines de la France et, partant,
s'éloigner de celles du monde anglo-saxon, basées sur les droits individuels,
semblait un bon stratagème. Une différence de plus entre nous et eux.
Le hic
est que la laïcité à la française est loin de toucher l'âme québécoise. Je n'ai
jamais vu une manifestation de masse en sa faveur. D'autant que la laïcité
française a pour base la séparation de l'Église et de l'État. L'Église
catholique s'entend et tout le monde sait que si problème il y a au Québec, il
n'est pas celui-là. La neutralité de l'État québécois est acquise depuis
longtemps et l'égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans nos
lois fondamentales.
La laïcité, une valeur
Le seul
but de l'opération est donc de nous convaincre que la laïcité est une de nos
grandes valeurs, qu'elle est en danger et que, à l'instar de la Charte de la
langue française, celle-ci contribuera à affirmer notre identité. La différence
est que la Loi 101 était basée sur une valeur plusieurs fois centenaire :
l'attachement des Canadiens français à leur langue.
Nous
allons donc nous engager dans un débat long et infructueux, car la société
québécoise n'est pas prête à accepter que le gouvernement lui impose des
valeurs dont elle n'a que faire. Ses valeurs, elle les développe à son rythme,
sur une base consensuelle comme dans toute démocratie qui se respecte. Quant au
gouvernement, son devoir est de faire son travail pour lequel il a été élu en
respectant scrupuleusement les valeurs dont l'élaboration n'est pas de son
ressort.