mercredi 19 mars 2014

Pilori et théâtre

Maintenant que journaux et radios se sont mis à s’intéresser, qui à la campagne électorale québécoise, qui au sort de l’Ukraine et de la Crimée, qui à la Boeing 777 disparue, on peut peut-être essayer de réfléchir sur un sujet qui ne semble avoir été traité que par des slogans. Je veux parler de ce que certains appelle «la culture de viol» qui imprègnerait non seulement le campus de l’Université d’Ottawa mais aussi ceux d'autres universités du pays, voire toute la société.

Rappelons que, d’une part, aucune accusation n’a encore été portée contre des membres de l’équipe de hockey de l’Université d’Ottawa et, d’autre part, la conversation privée de cinq étudiants, pour ordurière qu’elle ait été, ne tombe sous aucune loi. Qu’à cela ne tienne, journaux et radios se sont lancés dans une campagne de dénonciation d’individus qui est vite devenue une croisade contre la «culture de viol». Or, il n’y a aucune preuve que des dizaines de milliers d’étudiants mâles de l’Université d’Ottawa, ou d’autres universités, soient des violeurs potentiels. Alors pourquoi cette montée aux barricades ?

Afin que la vertu, propre à chaque société et à chaque époque, triomphe, il faut des mécréants débusqués et punis. Ils servent de repoussoir car leur caractère ignoble insuffle le dégoût et la terreur du mal, tout en renforçant l’autosatisfaction des justes. Le pilori est l’instrument désigné pour produire ce double effet.

Contrairement la prison où le délinquant est à l’abri des regards, le pilori est par définition publique. Le poteau qui n’existe plus physiquement, est avantageusement remplacé par des média professionnels et sociaux. Plus besoin de procédures judiciaires longues, d’avocats de la défense pointilleux ou de présomption d’innocence. Dénoncé, vous êtes un mécréant. C’est ainsi qu’on a vu un maire de Montréal forcé de démissionner, car un témoin (qui plus tard s’est avéré être un menteur) l’a mis en cause sans aucune preuve devant une Commission d’enquête.

Tous les membres d’une équipe de hockey ont été mis au pilori sur simple dénonciation d’une tierce personne, alors que même les soupçons ne pèsent que sur certains d’entre eux. Un pilori collectif est bien mieux.

Même la Chancelière s’est laissée emporter par la rhétorique de la «culture de viol», contrairement au Recteur qui, heureusement, s’est refusé à utiliser le terme.


De tout temps le théâtre s’est intéressé aux personnages mis au pilori. De Prométhée cloué au rocher aux sorcières de Salem en passant par Kent mis aux ceps dans Lear, la vue d’une personne bafouée sans jugement légitime rappelle aux spectateurs leurs devoirs de justice. Une bonne pièce sur les hystéries collectives nous changerait du «théâtre identitaire» qui règne sur nos scènes en roi et maître.

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