mardi 4 mars 2014

Pourquoi cette Charte des valeurs québécoises?

Pour marquer le début de la campagne électorale québécoise, je reproduis ici l'article que j'ai publié dans Le Droit le 25 septembre dernier. J'écrirai le même texte aujourd'hui avec deux réserves.
Certes, le gouvernement a changé le titre de ce qui est devenu un projet de loi, mais tout le monde continue de le désigner sous l'ancienne appellation, sans que le gouvernement s'en formalise. Le pouvoir continue donc de vouloir donner à cette Charte une valeur qui dépasse l'habillement des agents de l'État. 
Je n'écrirais plus que le Parti québécois ne croit pas que cette Charte peut lui procurer une majorité. Manifestement le parti table là-dessus. Nous verrons. 
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À part les dictatures idéologiques, comme le nazisme et le bolchévisme, ou les théocraties, comme celle de l'Iran, les pouvoirs séculiers se sont toujours appuyés sur les valeurs de leurs sociétés au nom desquelles ils prétendaient gouverner. En Occident, pendant presque deux millénaires, ces valeurs ont été définies par les autorités religieuses chrétiennes. La cohabitation de ces deux ordres d'autorités, pour houleuse qu'elle ait été, chacun essayant d'empiéter sur la juridiction de l'autre, a permis de garder un certain équilibre et empêcher la concentration de tous les pouvoirs entre les mêmes mains.
Parmi les exceptions importantes on note l'établissement de l'Église anglicane par Henry VIII au XVIe siècle.
Le déclin de la suprématie religieuse, à partir de la fin du XVIIIe siècle, a ouvert le champ du pouvoir spirituel à la compétition. Les élites intellectuelles, philosophes, écrivains et artistes ont tôt fait de vouloir remplir le vide. Certains idéologues y ont vu la réalisation de leur rêve: l'État détenant à la fois les pouvoirs spirituel et séculier. En d'autres termes, un État qui soit sa propre justification. Staline et Hitler y sont arrivés avec les résultats que l'on connait.
Limiter l'État
Heureusement, dans la majorité des cas, les sociétés ont résisté à cette hégémonie de l'État. Les États-Unis en sont l'exemple type, car leur constitution consiste essentiellement à limiter les pouvoirs de l'État, lui interdisant expressément de se mêler de ce qui ne le regarde pas.
Ailleurs, les sociétés civiles ont su résister et se réserver le droit de vivre selon des valeurs essentiellement consensuelles. Aucun État démocratique ne s'est encore donné le ridicule de vouloir imposer ses valeurs dans un document solennel, a fortiori quand ces valeurs se réduisaient à des questions d'intendance vestimentaire. On se demande donc quelle mouche a piqué Pauline Marois et son ministre Bernard Drainville à s'aventurer sur un terrain aussi dangereux? La réponse n'est pas simple.
Personne de bonne foi ne peut croire sérieusement que le gouvernement du Parti québécois ait des visées dictatoriales. L'électoralisme de bas étage est également à écarter, car les stratèges du PQ savent parfaitement que ce projet de charte ne leur apportera pas les voix dont ils ont besoin pour former un gouvernement majoritaire. Reste l'idéologie, hélas!
Langue, puis laïcité
Si un gouvernement doit s'appuyer sur des valeurs consensuelles pour assoir son autorité, cette nécessité est encore plus forte s'il s'agit de la création d'un pays. Le gouvernement de René Lévesque a fait le premier grand pas dans cette direction avec la Charte de la langue française. Or, il s'est avéré que la valeur «langue», en dépit de son importance pour les Québécois, n'a pas suffi pour gagner un référendum. La laïcité à la française paraissait donc tentante. Se rapprocher des valeurs jacobines de la France et, partant, s'éloigner de celles du monde anglo-saxon, basées sur les droits individuels, semblait un bon stratagème. Une différence de plus entre nous et eux.
Le hic est que la laïcité à la française est loin de toucher l'âme québécoise. Je n'ai jamais vu une manifestation de masse en sa faveur. D'autant que la laïcité française a pour base la séparation de l'Église et de l'État. L'Église catholique s'entend et tout le monde sait que si problème il y a au Québec, il n'est pas celui-là. La neutralité de l'État québécois est acquise depuis longtemps et l'égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans nos lois fondamentales.
La laïcité, une valeur
Le seul but de l'opération est donc de nous convaincre que la laïcité est une de nos grandes valeurs, qu'elle est en danger et que, à l'instar de la Charte de la langue française, celle-ci contribuera à affirmer notre identité. La différence est que la Loi 101 était basée sur une valeur plusieurs fois centenaire : l'attachement des Canadiens français à leur langue.
Nous allons donc nous engager dans un débat long et infructueux, car la société québécoise n'est pas prête à accepter que le gouvernement lui impose des valeurs dont elle n'a que faire. Ses valeurs, elle les développe à son rythme, sur une base consensuelle comme dans toute démocratie qui se respecte. Quant au gouvernement, son devoir est de faire son travail pour lequel il a été élu en respectant scrupuleusement les valeurs dont l'élaboration n'est pas de son ressort.




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